L’IPv6 ou la procrastination collective

Si vous dis “IPv6”, à quoi pensez vous ? A un nouveau type de drogue dure ? Raté. Il s’agit en fait d’un protocole permettant la communication sur Internet. Un protocole destiné à remplacer l’actuel, celui qui vous permet de consulter ce site, j’ai nommé l’IPv4.

Comment vivrions-nous si les adresses IP venaient à manquer ? (crédit photo : Pixabay)

Mais le problème avec l’IPv6, c’est qu’il n’est pour l’instant presque pas utilisé, alors qu’il aurait dû remplacer l’IPv4 à… la fin des années 1990. Presque vingt ans de retard, ça commence à faire beaucoup non ?

Pourquoi l’IPv6

Mais reprenons depuis le début. Internet est né à la fin des années 1960 dans le cadre d’un programme de recherche militaire, Arpanet. Le protocole IPv4 est alors développé pour permettre à des ordinateurs de l’armée américaine de discuter entre eux.

Par la suite, au début des années 1980, le nom Arpanet est abandonné, et Internet devient un réseau civil utilisé par les universités et centres de recherche.

IPv4 fonctionne en attribuant à chaque équipement relié à Internet une adresse, dénommée “adresse IP”. Elle se présente sous la forme de 4 groupes de 1 à 3 chiffres séparés par des points, comme par exemple 192.168.1.10.

Elle fonctionne comme une adresse postale : pour communiquer en ligne, on envoie des données à l’adresse du destinataire. Cela suppose donc qu’il y ait autant d’adresses disponibles que de correspondants.

Malheureusement, IPv4 a un point faible : il ne permet “que” 4 milliards d’adresses différentes. Au début des années 1980, cela ne posait aucun problème, le nombre de personnes connectées étant au plus de quelques centaines.

Mais avec le développement fulgurant du réseau dans les années 1990, la limite commence à apparaitre à l’horizon, d’autant que dans ses premières années d’existence, des millions d’adresses ont été attribuées à des organismes divers (universités, institutions, opérateurs télécoms, etc.) qui n’en ont pas l’utilité.

Bien évidemment pourrait-on dire, ceux-ci refusent de les restituer maintenant qu’ils en ont compris la valeur.

Une histoire de nombre

Conscients du problème, les organismes chapeautant l’Internet comme l’IETF créent un nouveau protocole dans les années 1990. Les adresses sont plus longues, beaucoup moins faciles à lire et ressemblent à cela : 2001:0db8:0000:85a3:0000:0000:ac1f:8001. Afin que leur nombre ne soit plus un problèmes, elles sont conçues de telle sorte que la quantité disponible soit de 2 puissance 128.

Bon, je l’admets, dis comme cela, ça n’a rien d’impressionnant. Prenons une comparaison célèbre : avec l’IPv6, il est possible d’avoir 667 millions de milliards d’IP sur chaque millimètre carré de surface terrestre.

Ou encore, le nombre total d’adresses disponibles en IPv6 est 340.282.366.920.938.463.463.374.607.431.768.211.456. Oui, ça fait beaucoup. Il faudra un certain temps avant la prochaine pénurie.

Les palliatifs

Sauf que, malheureusement, des années après sa création, l’IPv6 n’est toujours pas utilisé. Aujourd’hui pourtant, on compte au moins 15 milliards d’appareils connectés. Comment font-ils avec seulement 4 milliards d’adresses au maximum — en pratique beaucoup moins comme vu plus haut ?

Les opérateurs de télécommunication ont trouvé différentes “bidouilles”. Il y a d’abord les IP dynamiques. On part d’un constat : beaucoup de ces équipements n’ont pas tous besoin d’accéder simultanément au réseau. On leur attribue donc une adresse temporaire quand ils en ont besoin, qu’ils “restituent” après.

Il y a aussi le NAT (Network Address Translation, ou Traduction d’Adresse Réseau) : on attribue une IP non plus à un équipement, mais à un réseau, par exemple celui que votre box forme dans votre salon avec votre smartphone, votre tablette et votre ordinateur. En interne, les équipements discutent avec une IP privée. Pour échanger avec internet, cette IP privée est traduite avec l’IP externe de la box.

A quand la migration ?

Malheureusement, ces palliatifs ne font que retarder l’échéance : un jour, il n’y aura plus assez d’IP disponibles. Alors pourquoi les opérateurs ne migrent-ils pas vers l’IPv6 tout de suite ? Car leurs équipements sont déjà en majorité compatibles.

Si certains l’ont quasiment fait, comme Free en France, les autres adoptent une position attentiste. Car la migration coûte cher, il faut l’expliquer aux clients, les préparer à d’inévitables petits problèmes techniques.

Alors personne ne veut essuyer les plâtres et tout le monde attend une grande crise qui permettra de diluer la responsabilité du problème.

En effet, les données d’un réseau IPv4 ne peuvent transiter directement vers un réseau IPv6, la faute aux fameuses adresses dont les formats sont différents.

Les mauvaises langues diront que lors du passage à l’an 2000, il y a déjà eu un ajustement technique obligatoire pour noter les dates avec 4 chiffres au lieu de 2, et que cette transition n’a pas provoqué le chaos que beaucoup craignaient.

Mais l’Internet a aujourd’hui une place énorme dans l’économie mondiale, et il serait donc urgent de réagir pour éviter un jour un blocage aux conséquences incalculables.


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